Le cauchemar des apiculteurs français arrive Ă nos portes. AprĂšs le parasite varroa (un acarien venu dâAsie dans les annĂ©es 80), aprĂšs le protozoaire Nosema ceranae (un parasite de lâintestin de lâabeille venu lui aussi dâAsie), aprĂšs le miel chinois de mauvaise qualitĂ© qui nous envahit, câest aujourdâhui le frelon asiatique Ă pattes jaunes qui menace dĂ©sormais la Belgique et ses apiculteurs.
Que faut-il savoir aujourdâhui de cet animal inquiĂ©tantâ? Est-il dangereux pour lâhommeâ? Pour lâapiculteurâ? Doit-on sâinquiĂ©ter pour les enfants dans les jardinsâ? Que faire si on le dĂ©couvre dans une haie ou dans les boisâ? Avant de rĂ©pondre Ă ces questions, commençons par faire connaissance.
VENU DE SHANGAI
Lâapparition de ce frelon invasif est bien dĂ©crite par les scientifiques. Il y a 15 ans, un horticulteur du Lot et Garonne spĂ©cialisĂ© dans les bonsaĂŻs achetait ses poteries dans la rĂ©gion de ShangaĂŻ. La ville de Yixing, connue pour ses jardins, est dĂ©nommĂ©e la «âville des poteriesâ». On y fabrique des thĂ©iĂšres en argile dĂ©jĂ cĂ©lĂšbres au temps de la Chine impĂ©riale.
En 2014, lâhorticulteur dĂ©couvrit des frelons inconnus dans son jardinâ; il alerta rapidement les autoritĂ©s pour mener lâenquĂȘte. On a supposĂ© quâune reine ayant Ă©tĂ© fĂ©condĂ©e par plusieurs mĂąles Ă©tait cachĂ©e dans la livraison des caisses ayant transitĂ© par le port du Havre. Cette hypothĂšse a Ă©tĂ© brillamment confirmĂ©e par Claire Villemant (Museum dâhistoire naturelle de Paris) au moyen dâanalyses ADN.
Depuis lors, le frelon asiatique sâest rĂ©pandu dans plusieurs pays Ă la vitesse de 100 km par anâ: on le trouve en France, en Espagne, en Italie, au Portugal, en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne. Un rĂšglement de la Commission europĂ©enne a inscrit Vespa velutina sur la liste des espĂšces exotiques envahissantes et prĂ©occupantes pour lâUnion (RĂšglement 2016/1141 de la Commission du 13 juillet 2016).
LE PLUS SOMBRE DES FRELONS
Tous les frelons proviennent dâAsie, mĂȘme notre frelon commun dâEurope, qui a dĂ©jĂ immigrĂ© sous nos latitudes il y a longtemps.
Parmi plusieurs espĂšces de frelons asiatiques, celle qui nous envahit depuis peu est la moins colorĂ©e, ce qui la rend dâailleurs facile Ă reconnaĂźtre.
En 1836, le comte AmĂ©dĂ©e Lepeletier, auteur dâune Histoire naturelle des insectes hymĂ©noptĂšres, dĂ©crit Vespa velutina, le frelon veloutĂ©, sur base de spĂ©cimens collectĂ©s sur lâĂźle de Java. Câest en 1905 que le naturaliste français Robert du Buysson prĂ©cise la sous-espĂšceâ: nigrithorax, soit le «âfrelon veloutĂ© au thorax noirâ».
Une telle appellation est insuffisanteâ: on devrait encore ajouter «âĂ pattes jaunesâ».
NE PAS CONFONDRE
Le frelon asiatique (Ă gauche) est plus petit que le frelon europĂ©en (Ă droite), il ne dĂ©passe pas 3030 mm pour les ouvriĂšresâ; son thorax est noir et non pas brun rougeâ; lâextrĂ©mitĂ© de ses pattes est jaune citron et non pas brun rouxâ; sa face, ses pattes ainsi que les deux derniers segments de lâabdomen sont jaunes.
SES MĆURS
En Asie, Vespa velutina est un redoutable chasseur dâabeilles. Chez nous, ce nâest hĂ©las guĂšre diffĂ©rent. Exclusivement diurne, cette espĂšce cherche de prĂ©fĂ©rence des sources de nourriture abondantes et groupĂ©es, ce qui la rend trĂšs dangereuse pour les ruches. Les abeilles reprĂ©sentent un tiers, voire deux, de son alimentation. Les mouches, les sauterelles, les papillons, les chenilles, les araignĂ©es, et mĂȘme les guĂȘpes font Ă©galement partie de son menu. Dans les villes, la capture des abeilles lui procure jusquâĂ 60 % de son butin.
Chassant seul ou en groupe, le frelon se place face Ă la ruche en vol stationnaire, avant de se prĂ©cipiter sur lâabeille quâil dĂ©pĂšce, puis emporte pour servir dâalimentation aux larves de la colonie de frelons. En quelques jours, la prĂ©dation sur les ruches est importante et les apiculteurs français enregistrent des pertes massives dans certaines rĂ©gions.
En France, le frelon asiatique est classĂ© parmi les organismes nuisibles, danger sanitaire, mais seulement de 2e catĂ©gorie, ce qui nâoblige aucunement les autoritĂ©s publiques Ă intervenir, au grand dam des sociĂ©tĂ©s apicoles et de nombreux particuliers. Il sâavĂšre que le coĂ»t pour les municipalitĂ©s serait impayable vu le nombre dĂ©mesurĂ© de destructions Ă rĂ©aliser.
Le frelon attaque tout agresseur qui aborde le nid dans un rayon de 5 mĂštres, donc ne le provoquez pas. Le bruit des tondeuses, la vibration des taille-haies le rend trĂšs agressif.En revanche, lorsquâil est solitaire et Ă©loignĂ© du nid, on ne recense que peu de piqĂ»res. Lâanimal ne se prĂ©occupe pas de lâhomme.
Vespa Velutina risque-t-il dâenvahir la niche Ă©cologique de Vespa crabroâ?
Quentin ROME, le spĂ©cialiste du Museum dâhistoire naturelle, en douteâ: «âIl nây a pas de problĂšme de niche Ă©cologique entre crabro et velutina. Ils sont synchronisĂ©s dans le dĂ©but de leur cycle de vie certaines annĂ©es, ce qui peut entraĂźner une compĂ©tition au moment de la fondation des nids (surtout par des usurpations de nids). Mais ils nâaffectionnent pas les mĂȘmes milieux.
Vespa crabro prĂ©fĂšre les zones forestiĂšres avec de vieux arbres, va nidifier quasi exclusivement dans des cavitĂ©s et chasse une grande diversitĂ© dâinsectes (surtout cigales, OrthoptĂšres, LĂ©pidoptĂšres, DiptĂšres quâil chasse surtout sur les fleursâ; il peut se rabattre sur les ruches en cas de carence).
Vespa velutina prĂ©fĂšre les milieux ouverts, donc il sera surtout prĂ©sent dans les zones urbaines et pĂ©ri-urbaines. Il nidifie prĂ©fĂ©rentiellement en extĂ©rieur (accrochĂ© Ă une branche dâarbre ou une façade de bĂątiment). Il chasse quasi exclusivement des insectes qui vivent groupĂ©s (abeilles au niveau dâune ruche, guĂȘpe devant un nid, mouche sur une charogne ou une bouse de vache.â»
AUCUN PRĂDATEUR
ĂâŻce jour, aucun prĂ©dateur naturel ne permet de juguler lâinvasion. Quelques oiseaux, une plante carnivore et plusieurs parasites nâont quâune influence anecdotique. On sâattendrait Ă ce que la consanguinitĂ© empĂȘche le frelon de sâadapter et le mĂšne dans des impasses adaptatives, mais jusquâĂ prĂ©sent il nâen est rien. On ne relĂšve pas de maladies. Quant au seul prĂ©dateur connu en Asie, un autre frelon, son venin est dangereux pour lâhommeâ; son importation serait par consĂ©quent catastrophique. En effet, la seule façon actuelle de contenir lâinvasion est de dĂ©truire les nids dĂšs quâils sont repĂ©rĂ©s. La population doit ĂȘtre conscientisĂ©e et formĂ©e pour les dĂ©couvrir. Les piĂšges Ă phĂ©romones seront peut-ĂȘtre la solution dâavenir, mais une dizaine dâannĂ©es de recherches nâa toujours pas permis de les mettre au point.
LE NID
On distingue trois nids qui se succĂšdent dans le tempsâ: le nid «âembryonâ», le nid primaire, et le nid secondaire.
1La reine fĂ©condĂ©e qui a survĂ©cu Ă lâhiver commence par construire un nid minuscule en papier mĂąchĂ©. Il sert dâembryon Ă la petite colonie fragile qui abrite les premiĂšres naissances dâouvriĂšres.
2Lorsque celles-ci sont nĂ©es et que la population augmente, la colonie quitte le premier nid trop exigu et sâen va construire un deuxiĂšme nid, appelĂ© nid «âprimaireâ», situĂ© Ă hauteur dâhomme. La population continue de croĂźtre.
3Enfin, un troisiĂšme nid beaucoup plus grand va ĂȘtre construit Ă la cime dâun arbre, Ă plus de 10 m du solâ: câest le nid «âsecondaireâ», qui est 5 fois plus peuplĂ© que celui du frelon commun. Il atteint frĂ©quemment 80 cm de diamĂštre, ce qui est impressionnantâ; il a la forme dâun jambon et une ouverture latĂ©rale.
Le nid secondaire compte jusquâĂ 13 000 individus (dâavril Ă novembre), 2 000 ouvriĂšres, 500 Ă 1000 reines fondatrices, et autant de mĂąles (Rome et al, 2015).
60 NIDS DĂTRUITS EN BELGIQUE
Câest Ă la frontiĂšre française, Ă Guignies (commune de Brunehaut) que le premier nid a Ă©tĂ© dĂ©couvert et dĂ©truit en Belgique (novembre 2016). Depuis son apparition en Wallonie, 25 nids ont Ă©tĂ© dĂ©truits, dont 1 Ă Namur (5 septembre 2018). Des frelons ont Ă©tĂ© signalĂ©s cet Ă©tĂ© Ă Herbeumont prĂšs de Bertrix (province de Luxembourg).
En mai 2017, les premiers frelons apparaissaient en Flandre. En collaboration avec les experts wallons, lâassociation Honeybee Valley (issue de lâUniversitĂ© de Gand) a dĂ©truit 35 nids en 2018.
Fin 2018 Ă Bruxelles, on a aperçu les premiers frelons asiatiques sur Uccle et Ixelles. âLa suite est claire. Ils sâinstallent, ils vont prospĂ©rer. Câest un frelon qui se comporte trĂšs bien en ville, contrairement Ă notre frelon europĂ©en qui est plutĂŽt rural. Toutes les villes françaises qui se trouvent dans les zones envahies sont occupĂ©es par le frelon asiatiqueâ, explique Michel De Proft, spĂ©cialiste des frelons asiatiques et directeur scientifique au CRA-W (Centre de recherche agronomique de Wallonie).
Le Centre basĂ© Ă Gembloux anticipe la riposte en Wallonie depuis quelques annĂ©es en multipliant les avertissements et les informations techniques, notamment au niveau du rĂ©seau des pompiers. La neutralisation dâun nid de frelons asiatiques requiert un matĂ©riel spĂ©cialisĂ© et une approche diffĂ©rente dâune destruction dâun nid de guĂȘpesâ: Ă lâaide dâune trĂšs longue perche tĂ©lescopique, on introduit un insecticide Ă faible rĂ©manence de type permĂ©thrine directement dans le nid, qui est gĂ©nĂ©ralement trĂšs haut perchĂ©.
En Wallonie, les actions se font en synergie avec la Cellule interdépartementale EspÚces invasives (CiEi) qui est chargée depuis novembre 2009 (DGO3) de coordonner les actions visant à limiter les dommages causés par les espÚces invasives.
LES PIQĂRES
Que faut-il en penserâ? Sont-elles extrĂȘmement douloureusesâ? Il faut nuancer. Les craintes irrationnelles sont complĂštement injustifiĂ©es parce que le venin du frelon nâest pas plus douloureux que celui de lâabeille ou de la guĂȘpeâ; mais, comme la longueur de lâaiguillon nâest pas identique, les vĂȘtements de protection doivent ĂȘtre Ă©pais. Il faut 50 piqĂ»res pour provoquer des cĂ©phalĂ©es, et plusieurs centaines pour mourir.
En revanche, une seule peut tuer une personne allergique. Le plus grand danger concerne celles qui ignorent quâelles le sont.
Depuis lâintroduction du frelon asiatique en France, les statistiques de dĂ©cĂšs par piqĂ»re de frelons nâont pas Ă©tĂ© modifiĂ©es Ă la hausse, ce qui est plutĂŽt rassurant.
Comment calmer la douleurâ?
En cas de piqĂ»re dâhymĂ©noptĂšre, sachez que cette plante, Ă©crasĂ©e et appliquĂ©e directement sur la piqĂ»re, puis maintenue sous forme de cataplasme, attĂ©nuera la douleurâ: il sâagit du grand plantain (Plantago major), ou du plantain lancĂ©olĂ© (Plantago lanceolata). Les Romains ont dĂ©nommĂ© cette mĂ©dicinale Plantago, ce qui signifie «âplante qui agitâ».
Francis Moureau