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Le frelon asiatique : un vrai cauchemar

Cet article à été écrit par L'Esprit Jardin
9 mars 2019

Le cauchemar des apiculteurs français arrive Ă  nos portes. AprĂšs le parasite varroa (un acarien venu d’Asie dans les annĂ©es 80), aprĂšs le protozoaire Nosema ceranae (un parasite de l’intestin de l’abeille venu lui aussi d’Asie), aprĂšs le miel chinois de mauvaise qualitĂ© qui nous envahit, c’est aujourd’hui le frelon asiatique Ă  pattes jaunes qui menace dĂ©sormais la Belgique et ses apiculteurs.
Que faut-il savoir aujourd’hui de cet animal inquiĂ©tant ? Est-il dangereux pour l’homme ? Pour l’apiculteur ? Doit-on s’inquiĂ©ter pour les enfants dans les jardins ? Que faire si on le dĂ©couvre dans une haie ou dans les bois ? Avant de rĂ©pondre Ă  ces questions, commençons par faire connaissance.


VENU DE SHANGAI
L’apparition de ce frelon invasif est bien dĂ©crite par les scientifiques. Il y a 15 ans, un horticulteur du Lot et Garonne spĂ©cialisĂ© dans les bonsaĂŻs achetait ses poteries dans la rĂ©gion de ShangaĂŻ. La ville de Yixing, connue pour ses jardins, est dĂ©nommĂ©e la « ville des poteries ». On y fabrique des thĂ©iĂšres en argile dĂ©jĂ  cĂ©lĂšbres au temps de la Chine impĂ©riale. 
En 2014, l’horticulteur dĂ©couvrit des frelons inconnus dans son jardin ; il alerta rapidement les autoritĂ©s pour mener l’enquĂȘte. On a supposĂ© qu’une reine ayant Ă©tĂ© fĂ©condĂ©e par plusieurs mĂąles Ă©tait cachĂ©e dans la livraison des caisses ayant transitĂ© par le port du Havre. Cette hypothĂšse a Ă©tĂ© brillamment confirmĂ©e par Claire Villemant (Museum d’histoire naturelle de Paris) au moyen d’analyses ADN.
Depuis lors, le frelon asiatique s’est rĂ©pandu dans plusieurs pays Ă  la vitesse de 100 km par an : on le trouve en France, en Espagne, en Italie, au Portugal, en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne. Un rĂšglement de la Commission europĂ©enne a inscrit Vespa velutina sur la liste des espĂšces exotiques envahissantes et prĂ©occupantes pour l’Union (RĂšglement 2016/1141 de la Commission du 13 juillet 2016).

LE PLUS SOMBRE DES FRELONS
Tous les frelons proviennent d’Asie, mĂȘme notre frelon commun d’Europe, qui a dĂ©jĂ  immigrĂ© sous nos latitudes il y a longtemps. 
Parmi plusieurs espĂšces de frelons asiatiques, celle qui nous envahit depuis peu est la moins colorĂ©e, ce qui la rend d’ailleurs facile Ă  reconnaĂźtre. 
En 1836, le comte AmĂ©dĂ©e Lepeletier, auteur d’une Histoire naturelle des insectes hymĂ©noptĂšres, dĂ©crit Vespa velutina, le frelon veloutĂ©, sur base de spĂ©cimens collectĂ©s sur l’üle de Java. C’est en 1905 que le naturaliste français Robert du Buysson prĂ©cise la sous-espĂšce : nigrithorax, soit le « frelon veloutĂ© au thorax noir ». 
Une telle appellation est insuffisante : on devrait encore ajouter « à pattes jaunes ».


NE PAS CONFONDRE
Le frelon asiatique (Ă  gauche) est plus petit que le frelon europĂ©en (Ă  droite), il ne dĂ©passe pas 3030 mm pour les ouvriĂšres ; son thorax est noir et non pas brun rouge ; l’extrĂ©mitĂ© de ses pattes est jaune citron et non pas brun roux ; sa face, ses pattes ainsi que les deux derniers segments de l’abdomen sont jaunes.


SES MƒURS
En Asie, Vespa velutina est un redoutable chasseur d’abeilles. Chez nous, ce n’est hĂ©las guĂšre diffĂ©rent. Exclusivement diurne, cette espĂšce cherche de prĂ©fĂ©rence des sources de nourriture abondantes et groupĂ©es, ce qui la rend trĂšs dangereuse pour les ruches. Les abeilles reprĂ©sentent un tiers, voire deux, de son alimentation. Les mouches, les sauterelles, les papillons, les chenilles, les araignĂ©es, et mĂȘme les guĂȘpes font Ă©galement partie de son menu. Dans les villes, la capture des abeilles lui procure jusqu’à 60 % de son butin.
Chassant seul ou en groupe, le frelon se place face Ă  la ruche en vol stationnaire, avant de se prĂ©cipiter sur l’abeille qu’il dĂ©pĂšce, puis emporte pour servir d’alimentation aux larves de la colonie de frelons. En quelques jours, la prĂ©dation sur les ruches est importante et les apiculteurs français enregistrent des pertes massives dans certaines rĂ©gions. 
En France, le frelon asiatique est classĂ© parmi les organismes nuisibles, danger sanitaire, mais seulement de 2e catĂ©gorie, ce qui n’oblige aucunement les autoritĂ©s publiques Ă  intervenir, au grand dam des sociĂ©tĂ©s apicoles et de nombreux particuliers. Il s’avĂšre que le coĂ»t pour les municipalitĂ©s serait impayable vu le nombre dĂ©mesurĂ© de destructions Ă  rĂ©aliser.
Le frelon attaque tout agresseur qui aborde le nid dans un rayon de 5 mĂštres, donc ne le provoquez pas. Le bruit des tondeuses, la vibration des taille-haies le rend trĂšs agressif.En revanche, lorsqu’il est solitaire et Ă©loignĂ© du nid, on ne recense que peu de piqĂ»res. L’animal ne se prĂ©occupe pas de l’homme.


Vespa Velutina risque-t-il d’envahir la niche Ă©cologique de Vespa crabro ?
Quentin ROME, le spĂ©cialiste du Museum d’histoire naturelle, en doute : « Il n’y a pas de problĂšme de niche Ă©cologique entre crabro et velutina. Ils sont synchronisĂ©s dans le dĂ©but de leur cycle de vie certaines annĂ©es, ce qui peut entraĂźner une compĂ©tition au moment de la fondation des nids (surtout par des usurpations de nids). Mais ils n’affectionnent pas les mĂȘmes milieux.
Vespa crabro prĂ©fĂšre les zones forestiĂšres avec de vieux arbres, va nidifier quasi exclusivement dans des cavitĂ©s et chasse une grande diversitĂ© d’insectes (surtout cigales, OrthoptĂšres, LĂ©pidoptĂšres, DiptĂšres qu’il chasse surtout sur les fleurs ; il peut se rabattre sur les ruches en cas de carence).
Vespa velutina prĂ©fĂšre les milieux ouverts, donc il sera surtout prĂ©sent dans les zones urbaines et pĂ©ri-urbaines. Il nidifie prĂ©fĂ©rentiellement en extĂ©rieur (accrochĂ© Ă  une branche d’arbre ou une façade de bĂątiment). Il chasse quasi exclusivement des insectes qui vivent groupĂ©s (abeilles au niveau d’une ruche, guĂȘpe devant un nid, mouche sur une charogne ou une bouse de vache. »


AUCUN PRÉDATEUR
À ce jour, aucun prĂ©dateur naturel ne permet de juguler l’invasion. Quelques oiseaux, une plante carnivore et plusieurs parasites n’ont qu’une influence anecdotique. On s’attendrait Ă  ce que la consanguinitĂ© empĂȘche le frelon de s’adapter et le mĂšne dans des impasses adaptatives, mais jusqu’à prĂ©sent il n’en est rien. On ne relĂšve pas de maladies. Quant au seul prĂ©dateur connu en Asie, un autre frelon, son venin est dangereux pour l’homme ; son importation serait par consĂ©quent catastrophique. En effet, la seule façon actuelle de contenir l’invasion est de dĂ©truire les nids dĂšs qu’ils sont repĂ©rĂ©s. La population doit ĂȘtre conscientisĂ©e et formĂ©e pour les dĂ©couvrir. Les piĂšges Ă  phĂ©romones seront peut-ĂȘtre la solution d’avenir, mais une dizaine d’annĂ©es de recherches n’a toujours pas permis de les mettre au point.


LE NID
On distingue trois nids qui se succĂšdent dans le temps : le nid « embryon », le nid primaire, et le nid secondaire.
1La reine fĂ©condĂ©e qui a survĂ©cu Ă  l’hiver commence par construire un nid minuscule en papier mĂąchĂ©. Il sert d’embryon Ă  la petite colonie fragile qui abrite les premiĂšres naissances d’ouvriĂšres. 
2Lorsque celles-ci sont nĂ©es et que la population augmente, la colonie quitte le premier nid trop exigu et s’en va construire un deuxiĂšme nid, appelĂ© nid « primaire », situĂ© Ă  hauteur d’homme. La population continue de croĂźtre.
3Enfin, un troisiĂšme nid beaucoup plus grand va ĂȘtre construit Ă  la cime d’un arbre, Ă  plus de 10 m du sol : c’est le nid « secondaire », qui est 5 fois plus peuplĂ© que celui du frelon commun. Il atteint frĂ©quemment 80 cm de diamĂštre, ce qui est impressionnant ; il a la forme d’un jambon et une ouverture latĂ©rale.
Le nid secondaire compte jusqu’à 13 000 individus (d’avril Ă  novembre), 2 000 ouvriĂšres, 500 Ă  1000 reines fondatrices, et autant de mĂąles (Rome et al, 2015).


60 NIDS DÉTRUITS EN BELGIQUE
C’est Ă  la frontiĂšre française, Ă  Guignies (commune de Brunehaut) que le premier nid a Ă©tĂ© dĂ©couvert et dĂ©truit en Belgique (novembre 2016). Depuis son apparition en Wallonie, 25 nids ont Ă©tĂ© dĂ©truits, dont 1 Ă  Namur (5 septembre 2018). Des frelons ont Ă©tĂ© signalĂ©s cet Ă©tĂ© Ă  Herbeumont prĂšs de Bertrix (province de Luxembourg).
En mai 2017, les premiers frelons apparaissaient en Flandre. En collaboration avec les experts wallons, l’association Honeybee Valley (issue de l’UniversitĂ© de Gand) a dĂ©truit 35 nids en 2018.
Fin 2018 Ă  Bruxelles, on a aperçu les premiers frelons asiatiques sur Uccle et Ixelles. “La suite est claire. Ils s’installent, ils vont prospĂ©rer. C’est un frelon qui se comporte trĂšs bien en ville, contrairement Ă  notre frelon europĂ©en qui est plutĂŽt rural. Toutes les villes françaises qui se trouvent dans les zones envahies sont occupĂ©es par le frelon asiatique”, explique Michel De Proft, spĂ©cialiste des frelons asiatiques et directeur scientifique au CRA-W (Centre de recherche agronomique de Wallonie).
Le Centre basĂ© Ă  Gembloux anticipe la riposte en Wallonie depuis quelques annĂ©es en multipliant les avertissements et les informations techniques, notamment au niveau du rĂ©seau des pompiers. La neutralisation d’un nid de frelons asiatiques requiert un matĂ©riel spĂ©cialisĂ© et une approche diffĂ©rente d’une destruction d’un nid de guĂȘpes : Ă  l’aide d’une trĂšs longue perche tĂ©lescopique, on introduit un insecticide Ă  faible rĂ©manence de type permĂ©thrine directement dans le nid, qui est gĂ©nĂ©ralement trĂšs haut perchĂ©.
En Wallonie, les actions se font en synergie avec la Cellule interdĂ©partementale EspĂšces invasives (CiEi) qui est chargĂ©e depuis novembre 2009 (DGO3) de coordonner les actions visant Ă  limiter les dommages causĂ©s par les espĂšces invasives.


LES PIQÛRES
Que faut-il en penser ? Sont-elles extrĂȘmement douloureuses ? Il faut nuancer. Les craintes irrationnelles sont complĂštement injustifiĂ©es parce que le venin du frelon n’est pas plus douloureux que celui de l’abeille ou de la guĂȘpe ; mais, comme la longueur de l’aiguillon n’est pas identique, les vĂȘtements de protection doivent ĂȘtre Ă©pais. Il faut 50 piqĂ»res pour provoquer des cĂ©phalĂ©es, et plusieurs centaines pour mourir.
En revanche, une seule peut tuer une personne allergique. Le plus grand danger concerne celles qui ignorent qu’elles le sont.
Depuis l’introduction du frelon asiatique en France, les statistiques de dĂ©cĂšs par piqĂ»re de frelons n’ont pas Ă©tĂ© modifiĂ©es Ă  la hausse, ce qui est plutĂŽt rassurant.


Comment calmer la douleur ?
En cas de piqĂ»re d’hymĂ©noptĂšre, sachez que cette plante, Ă©crasĂ©e et appliquĂ©e directement sur la piqĂ»re, puis maintenue sous forme de cataplasme, attĂ©nuera la douleur : il s’agit du grand plantain (Plantago major), ou du plantain lancĂ©olĂ© (Plantago lanceolata). Les Romains ont dĂ©nommĂ© cette mĂ©dicinale Plantago, ce qui signifie « plante qui agit ». 

 Francis Moureau


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